L'actualité de la crise : VICISSITUDES DE LA FINANCE par François Leclerc

Billet invité.

La Fed devrait demain mercredi décider de nouveaux achats de titres de la dette américaine, afin de compenser l’arrêt de son opération Twist d’échange de titres à maturité courte contre d’autres à maturité longue. L’objectif est de consolider la dette de deux manières, en faisant baisser les taux longs et en accroissant sa maturité moyenne. Parallèlement, elle poursuit sa politique de prêt à taux proche de zéro, afin de contribuer à une relance de l’économie et une baisse du chômage, qui est aussi dans sa mission. Mais les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances, posant la question : à quoi servent ses liquidités ? où vont-elles ?

Les investisseurs américains ne se précipitent pas sur le marché des actions, ou pour acheter de bons du trésor ou accéder aux fonds monétaires. Dans le premier cas c’est considéré trop risqué, dans les deux autres trop peu rentable. Reste un compartiment qui a de nouveau leurs faveurs : les junks bonds, que l’on préfère souvent dénommer High Yield (haut rendement), ce qui fait tout de même plus noble. Cela tombe bien, car l’offre obligataire des entreprises est copieuse, leur situation et l’usage de leurs fonds justifiant une notation allant de « BB » à « C » les classant dans cette catégorie d’actifs risqués. Selon la compagnie Dealogic, 293 milliards de dollars de junk bonds ont déjà été émis au 18 octobre de cette année contre 249 milliards l’année dernière entière.

Renouant avec des pratiques d’avant la crise, les entreprises émettrices les utilisent prioritairement pour payer des dividendes à leurs actionnaires, ou bien réaliser des opérations de rachats d’entreprise avec de la dette (LBO), toutes opérations qui n’accroissent pas leurs chiffres d’affaires ou sont risquées, ne générant pas les revenus supplémentaires permettant aux entreprises de rembourser les titres émis. Celles-ci anticipent d’ailleurs souvent de leurs difficultés en se réservant le droit de suspendre le payement des intérêts (clause dite optional interest payement), ce qui n’est pas spécialement bon signe. Autre conséquence assez fréquemment rencontrée : elles licencient du personnel pour rembourser leurs titres tout en enrichissant leurs actionnaires.

Si les investisseurs institutionnels se retirent progressivement du marché des junk bonds, ce n’est pas le cas des individuels, qui continuent d’être attirés par les rendements qu’ils y trouvent. Toujours selon Dealogic, ces derniers ont investi 2,1 milliards de dollars durant les trois premières semaines d’octobre dernier, à comparer avec les 256 millions de dollars des investisseurs institutionnels.

Les banques américaines, notamment les plus petites, ne sont pas en reste pour utiliser les crédits de la Fed : elles se portent sur le terrain des produits structurés, rappelant la période précédant la crise quand ils faisaient fureur, notamment des CDOs et CLOs (Collateralised Debt Obligations et Collateralised Loan Obligations), supposés être désormais plus robustes. Elles sont également à la recherche de meilleurs rendements pour compenser la faiblesse générale des taux d’intérêt et s’engagent dans des activités financières spéculatives de préférence.

Avec tout cela, la relance en est pour ses frais ! La recherche du meilleur rendement dirige les capitaux vers des produits financiers procurant des taux qu’ils ne peuvent trouver en soutenant les activités économiques, mais dont les risques attachés sont élevés.

En Europe, les High Yields « viennent de s’inviter durablement dans le portefeuille des investisseurs », suivant l’élégante formule de la banque Edmond de Rothschild qui ne les voit pas d’un mauvais œil dans sa présentation à ses clients. La désintermédiation (le rétrécissement du crédit par les banques, face aux exigences d’augmentation des fonds propres) incite les entreprises à se tourner vers le marché pour se financer, notamment celles qui sont le moins bien notées à l’occasion de leurs émissions. En face, les investisseurs sont comme aux États-Unis attirés par les rendements de ce marché et repoussés par celui des actions, en raison de ses incertitudes.

La vie continuant d’être dure pour les fonds de pension, ils tendent pour leur part à s’éloigner des bourses d’actions pour se réfugier sur le marché obligataire à taux fixe (à échéance), bien que les taux des principaux titres souverains baissent en raison de la demande. Ce que les financiers qualifient de « flight-to-quality », pour éviter le terme de valeur refuge. C’est le cas au Royaume-Uni où, pour la première fois depuis cinquante ans, les fonds de pension détiennent plus d’obligations que d’actions. Une tendance qui se généralise en Europe, aux États-Unis et en Asie. Mais la faiblesse des taux obligataires pèse sur les fonds qui ont besoin de rendement afin de faire face au paiement des pensions, les conduisant à se tourner parallèlement vers le marché des ETF (Exchange-Traded Funds) – le dernier cri des produits financiers – en prenant des risques…

Il n’est décidément pas simple d’être investisseur par les temps qui courent. Une menace, une de plus, pèse sur les Américains. Le Transaction Account Guarantee program, la garantie illimitée apportée par la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) à leurs dépôts bancaires va prendre fin au 31 décembre, à moins qu’elle ne soit finalement renouvelée à la demande pressante de l’American Bankers Association. Cette dernière craint un retrait important de fonds qui ne seront plus protégés, car le montant de ceux-ci est de 1.500 milliards de dollars – de nombreuses petites et moyennes entreprises y ayant déposé leur trésorerie – et les banques pourraient se trouver grandement déstabilisées. Les estimations de l’ampleur que ce retrait pourrait prendre varient énormément, ce qui fait problème. Pour mémoire, 694 banques sont toujours sur la liste des « banques à problème » de la FDIC, comparé aux 888 de la fin d’année passée. La résistance des banques est en question, mais du côté des investisseurs la question n’est pas non plus simple à arbitrer : que faire de ces capitaux si le choix de la sécurité disparait ?

36 réponses sur “L'actualité de la crise : VICISSITUDES DE LA FINANCE par François Leclerc”

  1. Hhmm.. Monsieur Leclerc.
    La fameuse « garantie » des dépôts, en cas de clash, elle n’est bien QUE symbolique.

    Sinon, la suite d’une affaire qui va rester TRES discrète… :
    http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/12/11/scandale-du-libor-arrestations-de-trois-britanniques_1804699_3234.html
    « Assisté de la police de la City de Londres, le centre financier de la capitale britannique, le SFO a « exécuté trois mandats de perquisition » aux domiciles de trois hommes, âgés de 33, 41 et 47 ans, dans le Surrey et l’Essex. Ces hommes, de nationalité britannique, « ont été arrêtés et amenés à un poste de police de Londres pour être interrogés en relation avec l’enquête sur la manipulation du Libor », a ajouté le SFO. »

    Dans la version ouverte précédemment de cet article, j’avais LU que de la correspondance et des mails avaient été saisis.
    Mais ce n’est pas la première fois qu’un article du Monde change « subitement »…

    Chiche que rien ne fuite.

    1. « Assisté de la police de la City de Londres »,
      la City a sa propre police, différente de Scotland Yard ? Un état dans l’ Etat…

  2. Parallèlement, elle poursuit sa politique de prêt à taux proche de zéro, afin de contribuer à une relance de l’économie et une baisse du chômage

    je crois simplement que c’est l’effet contraire qui va se produire car outre le faite que ces fonds vont aller sur des entreprises à risques ,ils devront pour que celles-ci donnent un max de dividendes supprimer du personnel , diminuer les salaires , augmenter le temps de travail.
    Ces fonds vont déstabiliser les entreprises viables dans le même secteur d’activité, et à court terme les mettre dans une position à risques. Sauf si elles suppriment du personnel etc etc etc…
    Quand une entreprise doit plus à ses actionnaires qu’à ses salariés, elle va à sa perte .

    1. Des taux proches de zéro, c’est toujours mieux que des taux élevés qui étouffent les débiteurs de toute sorte, à commencer par les particuliers, comme cela a été vu en 2007 et 2008. La fed pratique des taux proches de zéro parce qu’elle n’a pas le choix.

      1. Et à ça c’qui paraît que le Trésor US n’est pas le dernier à en profiter d’la baisse des taux directeurs, avec son assistant GS et les zautres enfants de choeur secondaires ok, mais c’est pas tout à fait la même dimension…

  3. Cela fait depuis les années 90 que la FED inonde les marches de dollars… 20 ans et quelques crises plus tard, leur politique a fait ses « preuves ». Les riches sont encore plus riches !
    Après, les citoyens US, ils ont pris un bon coup au portefeuille.

    1. La FED & Co. amènent le comburant et bricolent les réglages du carburateur, alors que le réservoir de carburant est désespérément vide. Il paraît que l’énergie développée par ce moteur durant toutes ces années nous a rendus heureux! Mais heureu..euuuuux, Noël toute l’année….Youpiii.!!!!!!!

  4. http://www.wiwo.de/politik/europa/denkfabrik-frankreich-droht-eine-flaute-von-einem-jahrzehnt/v_detail_tab_print/7490586.html

    Frankreich droht eine Flaute von einem Jahrzehnt

    http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20121211trib000736462/-un-marasme-d-une-decennie-menace-la-france-.-c-est-le-patron-de-l-institut-allemand-ifo-qui-l-assure-delicatement-.html

    Un marasme d’une décennie menace la France ». C’est le patron de l’institut allemand Ifo qui l’assure délicatement

    Um wieder wettbewerbsfähig zu werden, muss unser Nachbarland um 20 Prozent billiger werden. Eine Reformverweigerung à la Hollande kann das Leiden nur verlängern.

    -> Pour redevenir compétitif, notre pays voisin devra devenir 20% moins cher. Un refus de réformes à la Hollande ne pourra que le retarder…

    Frankreich geht es derzeit nicht gut, für den britischen „Economist“ ist das Land gar eine „Zeitbombe“

    -> La France ne va pas bien, pour The economist, ce pays est une bombe à retardement…

    Die Zahl der Konkurse liegt heute um 14 Prozent höher als im Jahr 2008, dem Jahr der Lehman-Krise. Der Wertschöpfungsanteil des verarbeitenden Gewerbes am BIP ist auf nur noch neun Prozent gefallen. Das ist sogar noch weniger als in England (zehn Prozent) und nicht einmal halb so viel wie in Deutschland (20 Prozent). Selbst die traditionellen Automobilfirmen sind gefährdet.

    -> Le nombre des faillite est de 14% plus important qu’en 2008, l’année de la Crise de Lehman. La part de la VA produite par l’économie, du PIB est de 9%, 10% en Angleterre, et 20% en Allemagne. Même l’automobile est menacée.

    C’est ça l’Europe quoi, la dés-union européenne… l’oligarchie germanique ne fait que se répandre en sarcasmes sur Hollande, traité de dangereux socialiste.

    Nach Berechnungen von Goldman Sachs ist Frankreich heute genauso überteuert wie Spanien.

    -> Selon GS, la France serait autant « surfiscalisé » que l’Espagne.

    Da das deutsche Kapital großenteils über Frankreich in die Südländer floss, war das relativ zur Landesgröße berechnete Exposure der französischen Banken vor den Rettungsmaßnahmen doppelt so groß wie das deutsche. Nicht nur Griechenland wurde mit den EU-Beschlüssen der vorletzten Woche gerettet, sondern vor allem auch Frankreich, sein bei Weitem größter Gläubiger.

    -> Comme le capital Allemand est passé en grande partie par la France pour arriver dans les pays du sud, l’exposition des banques françaises par rapport à la taille du pays était 2 fois supérieure à celles de l’Allemagne. Non seulement la Grèce a été sauvé par l’accord de l’EU de la semaine dernière, mais surtout la France.

    Et l’Allemagne ?

    1. Le patronat allemand a peur. Son principal client , sa poule aux oeufs d’or et son marché captif s’effondre. La France est un pays à qui on ne peut vraiment pas faire confiance.

  5. 1 500 milliards de dépôts bancaires seulement ??? Manquerait pas un zéro ? Fin juillet l’encours des dépôts bancaires pour la France était de plus de 1 500 euros, soit pas loin de 2 000 milliards en dollars…
    Pour la petite histoire de la Grande Crise, c’est 30% de plus qu’en juillet 2007 avant qu’elle ne s’enclenche. Ça fait juste 23 000 euros par français les 1 500 milliards en question, et les 330 milliards accumulés (et garantis hors-bilan par l’État avec le reste) c’est pas loin du tout des dépenses de l’État en 2011…
    Tiens au fait, AIG, vous vous rappelez ? Ben ça y est, le, Trésor US a revendu toutes ses parts consécutives à la nationalisation, 5 milliards de plus-value au final (si on compte pas les 180 mds d’ardoise payés aux créanciers…).

      1. Ah ok, juste les dépôts à vue non rémunérés quoi. Là c’est cohérent, quoiqu’encore faible comparé à la France (plus de 500 milliards sur les comptes à vue) mais effectivement doit y avoir pas mal de comptes professionnels là-dedans, compte tenu du fait que les ménages américains ont traditionnellement rien ou moins que rien d’encours sur leurs comptes non-rémunérés.

  6. Les faibles taux d’intérêt profitent aux organismes financiers. Dans un fond d’investissement, vous pouvez augmenter votre IRR avec un taux d’intérêt faible si vous avec par exemple 50% de dette et 50% de fonds propres.

  7. Terminé pour le rachat grec. Objectif atteint, comme prévu, 20 milliards effacés de l’ardoise, 8% du pib. Ça fait 127 milliards évaporés au total sur l’année.

      1. Ce qu’il y a de sûr c’est que ces 127 milliards de gouttelettes se sont bel et bien déposées à un moment donné sur des fiches de traitement, des relevés mensuels de prestations et des comptes bancaires hellènes et hydrophiles, sinon europhiles.

  8. « Il n’est décidément pas simple d’être investisseur par les temps qui courent. »

    On verse une larme ? On organise une chaine de solidarité ?

    (  » Qu’ils crèvent tous… »)

    1. Je préfère que cet excès de capital se tourne vers la création de nouvelles entreprises, d’embauches, de recherche et développement dans tout ce qui nous permettra de nous priver de charbon, pétrole et gaz que nous importons, en France environ 98%.

      L’Europe n’a pas de ressources en hydrocarbures, hormis la Norvège, et ça baisse, comme partout.
      L’avenir c’est un monde où toutes les ressources sont vouées à tendre vers ZERO, hormis:
      Le soleil et donc, le vent, les pluies, les marées, nos climats et nos biotopes associés.
      Il nous faut naturellement prendre soin de ce qu’il nous reste, d’ailleurs dans la vraie vie, on ne fait pas autrement.

      Ce vice que dénonce ce billet est effectivement une vieille habitude qui date de la fin du XVIII siècle et qui a permis de construire un monde nouveau:
      Où chaque année on aura consommé plus de tout.
      Consommation croissante d’énergie (bois, eau, charbon pétrole, nucléaire, gaz, atome)
      De minerais: fer, bauxite, cuivre …
      Plus de poisson, de boeufs, de poules, de fromage…
      Le monde a dégagé toujours plus de richesse, un gâteau qui gonfle tout le temps…

      Et puis un jour, 2005 pour le pétrole, le gâteau a cessé de gonfler et le nombre de convives lui a continué d’augmenter et leur appétit également, du coup c’est la guerre car on est pas habitué à devoir partager pour en avoir moins, voir le traitement des salaires et des salariés!

      Faudra faire avec, c’est à dire un gâteau qui, même à population constante diminuera inexorablement jusqu’à zéro.

      En attendant le monde se débat, il refuse de regarder et puis à la fin si on ne brûle pas tout de suite ce qui nous reste de carbone ça devrait aller mieux.
      Bon vent.

  9. La surfacturation est un moyen pour les multinationales ou les banques de faire plus de profits, différente de la spéculation (hausse des prix aussi), la surfacturation est une autre hausse des prix qui s’additionne avec la spéculation dans le prix pour accroître ses bénéfices.

    Les multinationales (les banques aussi) se sont fait les spécialistes de la surfacturation, il n’y a aucune raison quelconque qui justifie cette augmentation du prix juste l’appât du gain pour faire plus de profits. Par le contrôle de la production, de l’extraction et des lignes d’approvisionnements, les multinationales peuvent non seulement procéder à une surfacturation sur les produits qu’ils distribuent mais en plus surfacturer les moyennes et petites entreprises qui dépendent des multinationales pour vendre leurs produits sur le commerce.

    Le but de la surfacturation est d’exiger une hausse du prix sur les rayons (pour les multinationales) et une hausse du prix à la revente pour les moyennes et petites entreprises, avec le temps la surfacturation devient banale puisqu’aucune procédure ni plainte judiciaire ne peut aboutir, alors les mulrtinationales peuvent exiger plus de profits à la vente et une augmentation des résultats pour les moyennes et petites entreprises qui seront dans l’obligation de les réaliser si elles veulent rester dans le commerce, sans avoir à justifier les surfacturations successives.

    Ainsi de suite, les multinationales surfacturent leurs produits, et exigent des résultats financiers aux moyennes et petites entreprises par la distribution des produits et de la surfacturation des multinationales qui augmentent les bénéfices pour leurs gros actionnaires et les hyper-riches.

  10. « La ruée sur les obligations » (expression de G. Ugeux sur son blog) ne saurait être une solution pour les emprunteurs: l’analyse décapante que fait Patrick Artus dans son dernier livre « La crise de l’euro », à partir de la crise de balance des paiements qu’a ouvert la monnaie unique après le marché unique:

    « Il aurait fallu comprendre, dès le départ, que l’unification monétaire était une machine à fabriquer de l’hétérogénéité et que, jusqu’à présent, les institutions n’ont absolument pas été construites pour la corriger ou l’accompagner.
    Contrairement à une idée reçue, les pays d’une union monétaire [à l’inverse de ceux d’une fédération] deviennent plus différents et non pas plus semblables, puisqu’ils se spécialisent dans des productions différentes après la disparition du… change.
    C’est ainsi que certains pays se sont spécialisés dans la production de produits industriels, d’autres dans la production de services, ce qui crée de fortes différences entre leurs situations de commerce extérieur, leur croissance de long terme, leurs niveaux de vie.
    On doit donc s’attendre à ce que les pays… doivent rééquilibrer l’offre et la demande de biens et services exportables.
    A long terme, ceci peut se faire par des « politiques de l’offre » qui stimulent la capacité de production, à court terme par la baisse de la demande intérieure… c’est à dire la perte de pouvoir d’achat , [ou les deux, ce qui fut le cas de l’Allemagne].
    On a donc observé, à partir du début des années 2000, une forte hausse des excédents extérieurs (en Allemagne, Pays-bas, Finlande et Belgique) et une forte hausse des déficits extérieurs (en France, Italie, Espagne, Grèce, Irlande, Portugal), une forte hausse parallèle des actifs extérieurs des premiers pays et des dettes extérieures des seconds.
    Lorsqu’un pays a atteint un niveau de dette extérieure très élevé, il ne peut plus s’endetter pour une très longue période de temps… puisque l’action des prêteurs publics (EFSF-ESM, FMI, BCE) ne peut être permanente.
    La crise est donc fondamentalement une crise de balance des paiements prenant la forme d’une crise des dettes publiques transmise ensuite aux banques et aux emprunteurs privés. Le fait qu’elle continue montre que sa gestion par les autorités européennes et les gouvernements a été… maladroite.
    En général, les pays dévaluent fortement… ce qui n’est pas possible dans la zone euro et les pays sont condamnés à déprimer leur demande intérieure pour faire disparaître leur déficit extérieur. Ceci conduit à la hausse insupportable du chômage qui peut pousser les gouvernements à chercher une autre solution de rééquilibrage en dehors de l’euro. La dépréciation des devises des pays qui sortent de l’euro dégraderait la compétitivité des autres pays, dont le commerce extérieur se détèriorerait.
    Mais il s’y ajoute un effet qui est nouveau: l’effet patrimonial dû à l’importance des actifs et des dettes extérieurs des pays. Ces actifs sont en euros mais passeraient, en cas d’éclatement de l’euro, dans la monnaie de ces pays, d’où une perte en capital énorme pour les prêteurs due à la [rapide] perte de change sur les actifs extérieurs.
    Ce coût patrimonial de l’éclatement de l’euro est si important qu’il conduit normalement à rejeter cet éclatement comme une solution à la crise; d’où l’importance qu’il y a à réfléchir à des solutions institutionnelles… »

    Paradoxalement, c’est Jacques Nikonoff dans son livre « Sortons de l’euro! » qui donne à cette réflexion l’éclairage le plus pertinent:

    – Quand l’Allemagne était coupée en deux Etats, elle était pour le fédéralisme européen. Depuis qu’elle est réunifiée, elle ne l’est plus ou l’est beaucoup moins. À cet égard, l’arrêt de la cour constitutionnelle de Karlsruhe du 30 juin 2009 est symptomatique: il précise que « l’Union européenne, même après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, n’est pas un Etat fédéral, mais reste une association d’Etats souverains ».
    – L’un des plus clairvoyants, en France , concernant la mutation allemande a été le Général Pierre-Marie Gallois, ancien de la France libre et du réseau de résistance Combat, disparu en 2010 à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans. IL fut un ardent militant pour le « NON » au referendum sur le projet de traité constitutionnel européen en 2005. Pour lui, le projet allemand issu de la réunification « est de faire de l’Europe un empire. Qu’est-ce qu’un empire? C’est la juxtaposition d’Etats différents sous une même autorité »
    (P.M. Gallois, P. Petit, S. Kruk: Le consentement fatal, l’europe face aux Etats-Unis, ed. Textuel, 2001)
    – Joschka Fischer, le Vert qui a été ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier, s’alarme maintenant de cette stratégie à laquelle il a pourtant donné la première impulsion: « Il n’est plus possible d’ignorer le changement fondamental d’orientation stratégique de la politique européenne de l’Allemagne. Objectivement, la tendance est à une Europe allemande, un choix qui n’a aucune chance de succès » (Le Figaro, 13 décembre 2010). Lui n’en doute pas, mais personne ne peut dire si cette stratégie n’a aucune chance de succès… l’Allemagne sembl[e] avoir les choses bien en mains et impos[e] sa volonté à tous les pays membres de l’Union européenne, particulièrement dans la zone euro…
    – Guy Verhofstadt, dirigeant politique belge de droite, européiste convaincu, le dit aussi: « Aujourd’hui, la puissance économique et politique de l’Europe, c’est l’Allemagne, et c’est elle qui impose son tempo et ses thèmes. Confier les rênes de l’Europe à la seule Allemagne, c’est prendre le risque d’un douloureux réveil nationaliste chez ses voisins » (Le Monde, 10 Mars 2011).
    Ajoutons, au passage, qu’avec Hollande face à Merkel, le réveil n’est pas près d’être pour demain matin, pas plus qu’avec « la vision à long terme » de G. Ugeux qu’on pourrait résumer par:
    « Approchez, approchez… Venez profiter de la ruée des soldes: taux d’intérêts pas chers sur les obligations! »

    1. @ Hadrien:

      Il aurait fallu comprendre, dès le départ, que l’unification monétaire était une machine à fabriquer de l’hétérogénéité et que, jusqu’à présent, les institutions n’ont absolument pas été construites pour la corriger ou l’accompagner.
      Contrairement à une idée reçue, les pays d’une union monétaire [à l’inverse de ceux d’une fédération] deviennent plus différents et non pas plus semblables, puisqu’ils se spécialisent dans des productions différentes après la disparition du… change.

      E. Todd dit exactement la même chose !

      Par ailleurs:

      D’après une étude publiée en janvier par l’Organisation internationale du travail, la politique allemande de compression des salaires est « la cause structurelle » de la crise que traverse la zone euro.

      C’est dans Le Monde du 15 novembre.

      1. nouveau: l’effet patrimonial dû à l’importance des actifs et des dettes extérieurs des pays. Ces actifs sont en euros mais passeraient, en cas d’éclatement de l’euro, dans la monnaie de ces pays, d’où une perte en capital énorme pour les prêteurs due à la [rapide] perte de change sur les actifs extérieurs.
        Ce coût patrimonial de l’éclatement de l’euro est si important qu’il conduit normalement à rejeter cet éclatement comme une solution à la crise; d’où l’importance qu’il y a à réfléchir à des solutions institutionnelles… »

        🙂

    2. Miam-miam, P.M Gallois…, grand pote à M.F Garraud, initiateur de la nucléocratie trisocolore (homme d’influence du Shape de Lauris Norstad auprès de de Gaulle dès 53), préfacier de Guennadi Ziouganov, fondateur du Forum pour la France avec des gus comme Gnangnan ou Coûteaux, animateur plus qu’émérite de l’émission intitulée Regard sur le monde à Radio Courtoisie, etc, etc…

  11. Il est des moments où la situation est tellement déséquilibrée, dans un tel dynamisme de déstabilisation qu’il ne reste plus rien d’autre à faire que de penser à son achèvement, à sa fin mais surtout de penser son après.
    Or, nous y sommes.
    Pourquoi cette façon de voir?
    Aucune solution ne peut être trouvée aux déséquilibres économiques présents, en Europe comme partout ailleurs, mais l’instant de son achèvement ne pourra pas ne pas redistribuer les cartes.
    L’effondrement de l’économie mondiale se perçois même par ceux qui, pourtant, ne voient en ces choses que des complexités à peine compréhensibles, des trucs éthérés laissés habituellement aux seuls initiés et même quand, à la suite d’une mise au chaumage, ils tempêtaient naguère contre les banquiers ou les fonds de pensions, il y restait, tout de même, de ce sentiment de s’adresser à quelques divinités lointaines et malfaisantes.
    Tout cela est fini, dites donc aux quidam du coin: « le dollar va s’effondrer! » et il vous regardera, l’air entendu, d’un léger signe affirmatif de la tête.
    Tout le monde l’attend et fourbit ses armes.
    L’Amérique rejouera la conquête de l’ouest, la France, elle, la révolution.
    J’appelle ça: « l’étrange attraction des peuples pour leur inconscient social ».
    Les plus surpris seront ceux qui ont à charge la politique et l’économie européenne, non pas parce qu’ils ignorent que cela adviendra mais en raison du déni qu’ils ont développé sur ce sujet, pris, qu’ils sont, dans un processus de dissonance cognitive qui les empêche de saisir l’état réel de l’Union-Européenne et surtout de l’économie mondiale.
    Cela les ébranlera d’une façon telle qu’ils seront bien en peine de prendre les décisions qui s’imposeront alors et risqueraient même de réagir de manières agressives, cela en se justifiant.
    Ce sera le retour du politique sur l’économie, comme Marx il y a peu, Adam Smith sera rejeté sur le bord de la route de l’histoire.
    Mais notre problème, notre immense problème sera qu’il nous faudra reconstruire un tissus industriel à partir de pas grand chose, l’acier que nous ne fabriquons plus se vendra, à cet instant, à prix d’or, peut-être au sens propre.
    Et si il n’y avait que l’acier…

  12. à mort ce foutu système, que tout cela s’effondre enfin, et pour ceux qui me diraient « mais vous ferez partie du lot » j’ai envie de leur répondre : bien sûr que je ferai partie de la charrette! Et alors?

    Si ce système délétère doit s’effondrer et que j’en crève, ça ne sera que moindre mal pour la planète. Tellement d’inégalités et d’injustice, si cela ne change pas, nous ne méritons pas de vivre dans un monde ou les 4 cinquièmes de l’Humanité ne mange pas à sa faim pendant que le 1% se gave à en être obèse.

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